Le handicap psychique est un sujet qui me passionne depuis très longtemps. Je l’ai appréhendé pour la 1ère fois, du moins sur un versant théorique, au cours de mes études en psychologie. Je fais cette nuance car, ayant grandi dans une petite ville qui comptait parmi ses membres les « occupants » d’un hôpital psychiatrique, j’ai également eu l’opportunité de côtoyer de près ce que l’on qualifie de folie humaine. Cet univers, que j’ai donc découvert avec mes yeux d’enfant, a été coloré de multiples qualificatifs, préjugés, a priori, représentations émanant de ces autres adultes, les « gens normaux » qui tentaient de donner du sens à leur réalité en dépeignant celle de ces personnes qu’ils ne comprenaient pas. Tout est donc parti de ce constat : où se situe la réalité ? Qu’est-ce-que le réel ? Qu’est-ce-que la norme ?
J’ai donc entrepris des études pour tenter de comprendre tout cela. Les apports théoriques qui m’ont été transmis, et dont je saupoudrerai cet article, m’ont apporté une certaine lumière sur ce et ceux qui composent cette typologie de handicap. Par la suite, mes expériences professionnelles en hôpital psychiatrique ou au sein de structures d’accompagnement de personnes en situation de handicap psychique en milieu ordinaire de travail ont complété cette vision et en ont approfondi l’attrait. Au final, en écrivant cet article, je suis sûre d’une seule chose : ce sujet passionnant est également un sujet d’une extrême complexité car il n’y a pas plus obscur et moins objectivable que la psyché. Pour autant, j’ai décidé de me lancer et je préviens par avance les puristes, les experts et autres professionnels du psychisme humain que mon objectif n’est pas de dispenser un quelconque savoir sur le sujet mais tout simplement de parler de ce sujet qui demeure tabou et qui fait, encore bien souvent, peur. Le handicap psychique souffre de son invisibilité, dans une moindre mesure car parfois le symptôme prend le pas et se manifeste, et de son histoire. Longtemps considéré comme des « possédés », des « démons », le fantasme collectif demeure grand à son égard et à l’égard de ceux qui le subissent.
Comment définir le handicap psychique ?
Sans refaire l’histoire, il me parait important, pour démarrer de nous arrêter un instant sur la définition du handicap psychique. Dans mon précédent article, je définissais le handicap psychique en référence au handicap mental. Ainsi, le handicap psychique se distinguait du handicap mental par trois principaux biais : pas de déficience intellectuelle, apparition plutôt à l’âge adulte et pas de cause réellement connue/identifiable à ce jour. Cette définition, très simple et simplifiée, a au moins le mérite de poser une différence claire entre ces deux typologies de handicap qui sont très souvent confondues, si ce n’est associées.
Pour autant, le handicap psychique dispose d’une définition propre sans qu’il n’existe vraiment de définition partagée. Ce point, quelque peu paradoxal, souligne la complexité du sujet et indique qu’il n’existe pas de vérité, ni même une vérité, et qu’il est essentiel, dans chaque situation, à chaque rencontre, de remettre à plat nos prétendus savoirs et connaissances pour tout simplement découvrir l’Autre, cette personne qui se présente devant nous et avec qui nous devons interagir pour créer une relation « normale », si l’on peut dire.
Parler de handicap psychique revient en premier lieu à évoquer la notion de santé mentale. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) la définit comme tel : « état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, faire face au stress normal de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté ». La notion de santé mentale ne se limite donc pas seulement à l'absence de troubles psychiques et fait référence à la fois à une dimension individuelle et collective. Enfin, elle est multifactorielle : ressources psychiques individuelles, facteurs génétiques, contexte social et économiques, etc., viennent la colorer et agir sur elle.
Par la suite, il s’agit d’aborder la notion de souffrance psychique. Nous voyons bien ici se dessiner un continuum qu’il est primordial de conserver à l’esprit car, encore une fois, la psyché n’est pas un objet mesurable et quantifiable et que l’on peut maîtriser. Il est donc important, dans ce monde qui se veut de plus en plus individualiste et où l’échelle du temps a disparu pour laisser place à une quête sans fin de désirs et de fantasmes, qui eux-mêmes ne trouvent plus le temps d’être conscientisés, de prendre le temps : le temps de soi, le temps de l’Autre, le temps du collectif, le temps de l’inconscient, de l’écoute, …bref, le temps de prendre en compte et en considération ce et ceux qui nous entourent pour tenter de mieux le/les comprendre.
La souffrance psychique nous concerne tous. Elle peut apparaître dans diverses circonstances de la vie, que celles-ci soient positives ou négatives, et nous faire basculer dans une maladie dont l’intensité, variable, place l’individu sur un continuum de souffrance pouvant aller de la détresse psychologique à la pathologie mentale. On retrouve encore ici cette notion de continuum et surtout la notion d’intensité. C’est bien l’intensité du trouble qui en définit la gravité.
Alors, bien souvent, lorsque l’on parle de handicap psychique, on pense à maladie mentale. Mais, in fine, la maladie mentale n’est qu’une potentielle extrémité d’un continuum qui tente de dessiner, de rationaliser une normalité.
La notion de maladie mentale, autrement appelée troubles psychiques, troubles psychiatriques, ou encore troubles mentaux, évolue à travers le temps et le contexte socio-économique dans lequel elle s’inscrit. Aujourd’hui, enfin depuis le milieu du 19ème siècle, les maladies mentales sont classées par symptômes, sans toutefois prendre en considération le contexte d’émergence. Nous voyons là encore apparaître ce besoin absolu de rationalisation : créer des listes, des cases et des catégories pour mieux maîtriser, prendre en charge. Alors oui, cela est nécessaire car il est important de pouvoir proposer une prise en charge adaptée aux symptômes pour permettre à la personne de recouvrer un principe de réalité et la sortir, dans une moindre mesure, de cette souffrance. Ou du moins la faire naviguer sur ce continuum. Mais alors le risque est grand car, à penser que l’on maîtrise ces manifestations symptomatiques, nous pouvons alors croire que nous maîtrisons l’expression de la souffrance de la psyché. Mais il n’en est rien. La maladie mentale ne se guérit pas, elle se soigne. Les thérapeutes, quelle que soit leur spécialité ont un rôle important à jouer auprès de ces personnes, et finalement auprès de tous car, si nous revenons à la notion de santé mentale, nous voyons bien à quel point elle est fragile et à quel point nous pouvons tous, à un moment donné de notre vie, de façon ponctuelle ou durable, connaître un épisode de souffrance psychique dont nous ne pouvons connaître, à ce jour, son degré d’intensité. Alors tentons de prendre du recul sur tout cela car chacun d’entre nous possède une psyché et doit apprendre à en prendre soin.
Pour revenir à notre définition du handicap psychique, nous pourrions tenter de le définir selon quelques grands principes (et vous aurez compris ma position sur les principes !) :
- Les capacités intellectuelles sont indemnes. Selon l’intensité du trouble, c’est donc la possibilité de les utiliser qui peut être déficiente.
- L'intensité du trouble en définit la gravité. Le handicap psychique est la conséquence d’un trouble psychique dont l’intensité va placer le handicap sur un continuum pouvant aller jusqu’à la maladie mentale.
- La symptomatologie est instable, imprévisible, et j’ajouterais singulière. Malgré un diagnostic identique entre deux personnes, vous ne retrouverez jamais une parfaite similitude dans l’expression symptomatique.
- Les causes restent inconnues à ce jour, et pouvons nous dire, demeurent propres à l’histoire de chacun, elle-même bercée au milieu d’une histoire et d’un inconscient collectif.
- La prise de médicament est souvent indispensable, associée à des techniques de soins dont les supports théoriques et les visées sont aussi larges que complémentaires.
Handicap psychique dans la cité
Comme bien souvent parler de handicap psychique revient à évoquer la maladie mentale, nous allons aborder rapidement cet aspect car il est important de mettre des mots sur ces maux et de leur donner sens et vie. Non, les personnes atteintes de handicap psychique ne sont pas folles! Et si je veux aller plus loin, je dirais : non, les personnes atteintes de pathologies mentales ou psychopathologies ne sont pas folles ! Je pense que c’est peut-être la chose la plus importante à retenir. Parler de folie nécessite en premier lieu de définir une normalité. Qui la définit? Qui est en mesure de délimiter un cadre normatif alors que ce cadre est en perpétuel mouvement et qu'il est constitué d'individus dont la santé mentale repose sur un fil, le fil de leur histoire mêlée à celle de la société dans laquelle ils évoluent? Alors certes, certaines manifestations symptomatiques peuvent inquiéter, voire effrayer surtout si elles se manifestent dans les murs de notre cité ou de nos entreprises et qu'elles ne sont pas "encadrées", prises en charge. Mais le plus souvent ce danger concerne la personne elle-même. Soyons clair et honnête, la maladie mentale fait peur parce-qu’on ne la comprend pas, certes, mais surtout parce-qu’on la craint. Et on ne craint pas pour l’Autre mais bel et bien pour soi. Sentiment tout à fait « normal », sous peu qu’il soit possible d’évoquer la normalité dans cet article. Mais, très honnêtement, pour avoir côtoyer de près, parfois de très près, des personnes diagnostiquées comme souffrant de maladie mentale, je peux assurer que ma relation avec ces personnes m’a apporté beaucoup de richesse et que les fois où la peur m’a gagnée, cela était plus par projection fantasmatique plutôt que par réel risque de la part de la personne. C’est bien pour cela que dans le handicap au sens large, et dans le champ du handicap psychique en particulier, il n’est pas nécessaire de connaitre et de nommer le trouble mais juste d’en comprendre les conséquences.
La question n’est donc pas de savoir si la personne est psychotique, bipolaire, état-limite, névrosée…mais plutôt de comprendre qui elle est, ce qu’elle fait, ce qu’elle veut, ce qui peut la mettre en difficulté. Car, n’oublions pas que ce qui crée le handicap c’est l’environnement dans lequel la personne évolue.
En écrivant cet article, je me suis interrogée sur la place que j’allais accorder aux définitions des psychopathologies, et au final j’ai décidé de ne pas en parler. Je pensais pouvoir vulgariser ces concepts mais, in fine, je ne crois pas que cela soit vraiment possible, et surtout je ne pense pas que cela aide vraiment les personnes concernées. Comme dans toute relation humaine, la seule façon de comprendre l’Autre, de ne pas en avoir peur, de créer une relation, c’est d’aller vers lui et de dépasser ses propres peurs, ses propres représentations, ses propres fantasmes pour tenter de s’inscrire dans un principe de réalité où chacun a son histoire, ses failles, ses forces et tente de vivre en équilibre.
Alors bien sûr pour certains, ceux dont l’intensité du trouble est grand et continu, cette interaction, ce principe de réalité ne pourra pas être atteint car il n’existe pas. La réalité est autre, elle est ailleurs et doit, dans une certaine mesure, y demeurer pour préserver cet équilibre. Mais s’il peut nous arriver de croiser dans nos vies, notamment nos vies sociales, ces personnes, la probabilité est extrêmement faible dans le domaine professionnel. La force du symptôme est telle qu’une adaptation au cadre et à l’environnement professionnel, à ses relations interpersonnelles est quasi-impossible pour elles. Nous devons donc faire face à la réalité et sortir de nos fantasmes pour enfin s’ouvrir et accepter que le handicap psychique, tout comme les autres typologies de handicap à sa place au sein de nos entreprises.
Encore une fois, nous devons tous préserver notre santé mentale mais personne n’est à l’abri que celle-ci soit altérée par un quelconque évènement de vie qui, parce-qu’il se joue et se produit à un instant T, va avoir un impact et des répercussions bien plus grandes que ce que l’on pourrait imaginer et va mettre en échec, le plus souvent de façon temporaire et dans une intensité que nous qualifierons d’ «acceptable », du moins pour soi, nos ressources. Alors chacun réagira comme il le peut et tentera de masquer l’expression de ses symptômes anxieux, dépressifs, addictifs, obsessionnels, parfois, dans les cas les plus extrêmes, délirants. Mais le plus important, dans ces moments de vie, est de savoir que nous pouvons compter sur l’Autre. Cet Autre qui nous ressemble et qui est le reflet de ce que nous avons été et que nous tentons de redevenir. Alors, essayons d’arrêter d’avoir peur, essayons d’observer et d’écouter ce qui se passe autour de nous car, comme nous le disions plus haut, si la « folie mentale », au sens strict du terme, n’est pas présente dans nos entreprises, la souffrance psychique l’est et nous devons l’accepter et l’accompagner.
Cette première partie s’est voulue très généraliste et il s’agissait davantage de partager quelques réflexions sur le sujet que de traiter la question du handicap psychique et de l’emploi. Pour autant, cette question est essentielle car, les chiffres parlent d’eux-mêmes, de plus en plus de personnes sont concernées par cette souffrance psychique, et s’il est une chose certaine c’est que celle-ci ne s’arrête pas à l’entrée du bureau.
Nous consacrerons notre prochain article à cette thématique que nous tenterons d’illustrer au travers d’exemples concrets rencontrés tout au long de notre parcours.
Dans cette attente et comme d’habitude, je vous invite à aller consulter la littérature sur le sujet et surtout à prendre le temps d’échanger avec ces personnes en situation de handicap. Prenez du recul, prenez le temps d’écouter et d’observer votre environnement, …vous serez surpris par vos découvertes !
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